GÉRALDINE, ENTRE ENCRE ET SÈVE
- mastic lifestyle
- 12 nov.
- 7 min de lecture

Géraldine a délaissé le cinéma pour les sentiers ombragés du Perche. Après avoir vécu entre New York, Londres et Paris, elle a choisi de se reconnecter au vivant — d’écouter le souffle des feuilles plutôt que le vacarme des villes. Dans sa maison blottie entre magnolias et forêts, elle écrit, marche, observe, cueille. De cette existence au vert sont nés des ouvrages empreints de délicatesse, à la croisée de la poésie botanique et de la quête intérieure. On y apprend à regarder la nature autrement. Portrait d’une auteure libre, pour qui chaque saison devient promesse d’écriture et de renaissance.

Interview
Géraldine, peux-tu te présenter et nous raconter ton parcours avant de te consacrer à l’écriture ?
" J’ai passé seize ans à l’étranger, entre New York, Londres, Madrid et Bruxelles. J’ai toujours écrit, sur les tables d’école, dans des carnets, sur les nappes en papier des cafés, même si j’étais nulle en orthographe. Après le bac, je suis rentrée à Paris : je rêvais de vivre en France. Je me suis inscrite le soir au Cours Florent pour étudier la mise en scène, tout en travaillant le jour dans des sociétés de production où je classais des cassettes VHS. J’ai été metteur en scène pendant quelques années, avant de devenir lectrice de scénarios pour les commissions du CNC, puis de romans à adapter au cinéma pour Les Films du Kiosque. Durant cette période, j’ai énormément lu. Je rêvais d’écrire et d’en faire mon métier, sans vraiment oser le dire. En 2011, je me suis lancée : j’ai écrit et réalisé mon premier court-métrage, Bocuse, avec Anémone, produit par Les Films du Worso. Peu après, j’ai publié mon premier livre de littérature jeunesse Félix à Paris (Tourbillon). Et, très vite, j’ai travaillé comme scénariste sur des commandes. Dans cet élan, j’ai passé le concours de La Fémis, pour l’Atelier scénario. J’ai été reçue. "
As-tu gardé des souvenirs d’enfance liés à la campagne qui ont influencé tes choix de vie ou ton écriture ?
" J’ai été une fleur de macadam, sauf peut-être pendant les étés passés dans la maison familiale en Normandie, près de L’Aigle. Elle appartenait à un grand-oncle, et c’est là-bas que se trouvent mes plus beaux souvenirs en lien avec la nature. J’observais l’évolution des oeufs de têtards dans la mare, je construisais des cabanes, j’allais chercher du lait à la ferme. Nous traversions la forêt à pied pour rejoindre nos cousins qui avaient une maison de l’autre côté. Je me souviens encore de ces longues marches paisibles avec ma grand-mère, j’étais fascinée par la végétation qui nous entourait. Ces souvenirs enfouis me sont revenus de plein fouet lorsque j’ai écrit mon deuxième livre jeunesse - La drôle de fleur. "
Tu partages aujourd’hui ton temps entre la région parisienne et le Perche. Qu’est-ce qui t’a donné envie de t’installer au vert ? Et pourquoi avoir choisi cette région en particulier ?
" Comme beaucoup, le confinement a été pour moi une révolution intérieure. J’ai eu la chance de fuir Paris, de m’installer deux mois en Bourgogne avec ma famille. Là-bas, j’ai découvert ce que c’était que vivre un printemps. Un vrai. Une renaissance. La nature semblait débordante de vie alors que le monde humain semblait s’effondrer. Chaque matin, je partais marcher au lever du jour. J’apprenais à reconnaître les plantes et à les cueillir. Au retour, Paris m’a semblé étouffant. J’avais besoin d’air, de silence, de vert. Avec mon mari, nous avions déjà exploré les environs de Bellême, pour acheter une maison, vingt ans plus tôt. Les forêts, la brume au petit matin, les prairies émeraudes au printemps, m’avaient alors déjà séduite. Mais à l’époque, c’était un rêve trop cher pour nous. "
Comment es-tu passée de scénariste à auteure ?
" J’ai arrêté de travailler pour les productions de films du jour au lendemain. J’ai simplement déroulé le fil des plantes sauvages. À la suite du confinement, je me suis inscrite en botanique à l’École des Plantes de Paris. Cette formation m’a ouvert de nouvelles perspectives. Je voulais partager ce lien au vivant, si intense, que j’avais redécouvert pendant le confinement et toucher un public de lecteurs très varié. Explorer d’autres formes d’écriture, essai, livres de recettes, documentaire, roman… Dans un monde qui aime tant les étiquettes, j’aime rester inclassable. C’est une liberté, et j’en suis fière. "
Peux-tu nous présenter tes ouvrages et nous en parler un peu ?
" Après deux livres de littérature jeunesse sur la nature, La drôle de fleur et Petit Rond, debout ! (Marcel & Joachim), j’ai publié Potions magiques chez Gallimard Jeunesse en 2022. C’est un documentaire qui propose 30 recettes de boissons issues de la cueillette sauvage. L’ouvrage a reçu le Prix Jeunesse du Salon du livre de cuisine de Paris. Par la suite, j’ai écrit tous mes livres dans le Perche. Se relier au Vivant (Actes Sud, collection Je passe à l’Acte), est une exploration joyeuse des multiples manières de se reconnecter au vivant et d’en ressentir les bienfaits. Breuvages sauvages (Ulmer), rassemble 40 recettes de boissons naturelles et variées à base de plantes sauvages. La reine-des-prés, dix façons de la préparer (Éditions de l’Épure), est consacré à cette plante emblématique de la Normandie qui a un goût de vanille et d’amande. J’ai également écrit un roman ancré dans la forêt percheronne, Le goût des forêts, à paraître le 25 mars 2026 chez Maison Pop. Suivra à l’automne 2026 un nouvel ouvrage (collection Résilience, Ulmer), consacré aux plantes sauvages avec les photos de Sophie K. (photographe du Perche), puis deux autres livres prévus pour 2027. "
As-tu des habitudes ou rituels particuliers quand tu écris ?
" Oui, énormément ! Beaucoup de solitude. Chaque jour, une longue marche dans la forêt ou le bois derrière chez moi. Des réserves de chocolat, de la tisane maison, des yaourts. Ma vue sur le magnolia. Le téléphone en mode avion. De la contemplation. Coucher tôt, réveil matinal. "

Peux-tu nous parler de l’activité de cueillette ?
" Pour mes livres, je cueille souvent en solitaire. Mais j’aime aussi partager cette activité avec ma famille ou avec le public, lors d’ateliers et de formations. On ne sait jamais à l’avance ce que l’on va découvrir, baies, fleurs, plantes sauvages, cela ressemble toujours à une chasse au trésor. C’est une quête sans but précis, un vagabondage joyeux qui nous relie à la nature et à notre identité profonde. "
Quels sont les ouvrages de référence, pour toi, sur la vie à la campagne ?
" Carnet d’un voyageur immobile dans un petit jardin (Albin Michel) de Fred Bernard est un livre aquarellé d’une grande poésie, un véritable hommage aux jardins de campagne. Avec Être un chêne (Actes Sud), Laurent Tillon nous aide à mieux comprendre l’écosystème forestier, c’est un récit sensible qui marque durablement la mémoire. Créer avec la nature (Ulmer) de Johanna Tagada Hoffbeck invite, à expérimenter avec joie toutes sortes de techniques inspirées du vivant. Pour un moment de lecture au coin du feu, je me laisse volontiers emporter par Le Mur invisible (Babel) de Marlen Haushofer. Pour le simple plaisir des yeux, le catalogue de la dernière exposition d’Edi Dubien est un véritable bijou. Enfin, impossible de ne pas citer Home Magazine ! Une belle référence en matière de décoration slow et durable. "

Quelles sont tes sources d’inspiration ?
" J’ai grandi avec les livres jeunesse de Béatrix Potter, mais elle était avant tout une grande passionnée par l’étude des champignons et des lichens. Les femmes naturalistes et botaniques anglaises du XIXᵉ siècle m’inspirent énormément, comme Anna Atkins, Anne Pratt ou Marianne North. Je peux contempler leurs dessins pendant des heures. La musique m’aide beaucoup lorsque je bloque dans mes écrits. Des artistes comme Asaf Avidan, Metronomy, Schoenberg ou Wim Mertens peuplent ma playlist et nourrissent mon imaginaire. Il y a aussi les mots de Cécile Coulon et bien sûr, les plantes sauvages croisées au détour des chemins qui se déploient et m’émerveillent au fil des saisons. "
Quels sont les comptes Instagram que tu aimes ?
" Je suis toujours très touchée par les textiles de Woolandnature et les céramiques de Kceramics, qui résonnent si bien avec mes cueillettes. Je ne manque jamais une exposition au Musée de la Chasse et de la Nature, ni les nouvelles de la Ferme du Bec Hellouin. Et Green Go, reste pour moi une source d’inspiration pour voyager tout près de chez soi. "
Comment s’est passée ta transition vers la vie à la campagne après toutes ces années passées à Paris ?
" C’était un soulagement. J’ai eu l’impression de retrouver ma mélodie intérieure, celle qui s’était perdue en ville, de revenir à l’essentiel. Ma dernière fille, nous avons trois enfants, est en 4ᵉ, et sa scolarisation ici pour elle était inimaginable. Quant à mon mari, avec ses rares jours de télétravail, il n’était pas encore prêt à sauter le pas. J’ai mis un certain temps à trouver un rythme avec les allers-retours entre Paris et le Perche. Mais avec les années, cela s’est apaisé. Ma famille a fini par comprendre combien il était important pour moi d’avoir des moments de solitude, pour écrire et partir en cueillette. "
Peux-tu nous décrire ta nouvelle routine néo-rurale ?
" Après le petit-déjeuner matinal, je me promène avec mon chien sur un chemin de terre bordé de grands noisetiers, un vrai bonheur. "
Quelles sont tes adresses coup de coeur dans le Perche, à conseiller aux lectrices et lecteurs de Mastic ?
" Tout près de chez moi se trouve la librairie Un Autre Pays à Rémalard, où les sélections de Marie sont toujours d’une grande justesse. À quelques pas, les expositions de l’Atelier du Peu de Martine Camillieri, méritent aussi la visite. J’aime beaucoup le restaurant Paysage à Bellême. Sylvain Parisot, jeune chef exigeant, compose des assiettes d’une rare beauté. Non loin de là, la boulangerie Les Pains de Saint-Hilaire propose un petit épeautre délicieux. Et puis, il y a les deux fêtes des plantes à ne pas manquer : celle de Bellou-le-Trichard en mars, et PAM !, la fête des plantes aromatiques et médicinales, en avril. "

↳ geraldinelemaitrerenault I Instagram @g.lemaitre_renault
crédits photos © géraldine lemaître renault - photo de couverture © sophie k











