MARIE LEVÊQUE, CÉRAMISTE-BOTANISTE
- mastic lifestyle
- 19 sept.
- 5 min de lecture

Marie Levêque façonne des pièces où la matière dialogue avec la verdure, révélant l’infiniment petit du vivant. Entre Paris et le Perche, elle puise dans ses souvenirs d’enfance et dans ses observations du végétal pour créer des céramiques uniques, fonctionnelles et poétiques, qui s’intègrent avec sens dans des projets d’aménagement intérieur. Reconnue par Ateliers d’Art de France, elle déploie un univers alliant précision, sensibilité et liberté créative, mettant en lumière la beauté fragile du monde qui l’entoure. Dans son atelier, la terre reflète la délicatesse des fleurs, feuilles et tiges qui l’inspirent, transformant chaque création en un instant suspendu entre art et végétal. Marie nous invite ainsi à explorer son parcours, son lien intime au vivant et l’univers poétique qui nourrit son imaginaire artistique.

Interview
Marie, peux-tu nous parler de ton enfance et de tes premiers liens avec la nature ?
" J’ai grandi à Paris mais avec un pied dans la campagne. J’ai passé tous mes week-ends et mes vacances au vert, entre les crottes de moutons de mon grand-père et les milliers de fleurs de ma grand-mère. Très tôt, mon père m’a appris à observer la nature de près. Il aimait plonger ses mains dans la terre, et je le regardais avec fascination faire émerger les radis du potager. Déjà enfant, je rêvais de vivre à la campagne… et, comme beaucoup de petites filles, je me voyais vétérinaire. "
Comment es-tu entrée dans le monde de la céramique ?
" Diplômée des Arts Déco, j’ai brièvement travaillé en agence avant de plonger, en 2003, dans l’univers des arts de la table. J’ai toujours aimé créer — dessiner, peindre, découper, modeler… Peu à peu, mon travail a pris une autre direction, jusqu’à ce que la terre s’impose comme mon médium de prédilection. En 2021, un changement de vie est venu tout bouleverser — une rupture salutaire qui a redonné du souffle à ma pratique. Depuis, mon regard s’attarde sur l’infiniment petit, ces détails discrets que l’on croise souvent sans y prêter attention. Végétaux, fleurs, feuilles, tiges… deviennent pour moi une source d’inspiration inépuisable. On dit parfois que je suis une « céramiste-botaniste » — et j’aime assez cette idée. "
Tu partages ton temps entre Paris et le Perche. Comment vis-tu cet équilibre ?
" Le Perche m’aimante, tandis que mes enfants me retiennent encore à Paris… Pour l’instant, cet équilibre s’impose : je savoure les quelques jours que je passe chaque semaine dans la capitale, ses mille ressources culturelles, avant de filer me ressourcer dans la nature percheronne. Ce petit coin de paradis est un parfait compromis — une campagne préservée à deux pas de Paris. J’aspire à y passer le plus de temps possible. J’ai besoin de nature autour de moi pour créer : c’est la sève de chacune de mes pièces. Et puis, je m’y sens tellement bien… Ici, tout respire la douceur, qu’il s’agisse du climat ou des relations humaines. La vie y glisse au ralenti. Là-bas, je m’immerge pleinement dans mon travail. Plus de questions d’horaires ou de contraintes : je vis au rythme de la terre et de mes mains. La céramique et la nature occupent une place centrale dans ma vie. Je dirais même qu’elles en sont l’équilibre. "
Comment ta démarche artistique a-t-elle évolué ?
" La peinture sur porcelaine a été une première étape. Je peignais déjà des fleurs… et de petites fourmis s’y promenaient discrètement. La nature était, déjà, un sujet essentiel. D’un travail artisanal, j’ai peu à peu glissé vers une démarche plus artistique, avec ce désir profond de donner du sens à chaque création. Aujourd’hui, chacune d’elles s’inscrit dans des projets d’aménagement pensés en dialogue avec les lieux, les saisons, les matériaux… et ceux qui les habitent. Depuis toujours, la nature vivante me fascine. Les formes organiques, les nuances de verts, les textures délicates ou rugueuses… sont pour moi une source d’inspiration inépuisable. Mon travail célèbre la beauté et la délicatesse de notre environnement naturel, en révélant la richesse infinie de ses formes. "
Quelle est ton approche technique en céramique ?
" Je pars du principe que (presque) tout est possible en céramique. Ce qui m’anime avant tout, c’est l’idée de tracer une forme, d’imaginer un contenant, puis de chercher comment le rendre possible techniquement. J’aime relever le défi de concrétiser les projets les plus audacieux, tout en veillant à ce que chaque pièce reste aussi fonctionnelle qu’esthétique.
Techniquement, tout commence par un — ou souvent plusieurs — pain(s) de terre. Après les avoir longuement battus pour chasser les bulles d’air susceptibles de faire éclater la pièce à la cuisson, je façonne des plaques que je découpe aux dimensions du projet. Vient ensuite le travail de création à proprement parler : empreintes végétales, décors peints à l’engobe, modelage… C’est la partie que je préfère. Puis il faut laisser sécher les éléments, parfois plusieurs jours, parfois plusieurs semaines, et les reprendre un à un pour peaufiner les finitions. Une première cuisson, à près de 1000 °C, donne le biscuit. Celui-ci est ensuite recuit à la même température pour permettre l’émaillage. J’aime l’aspect brut de la terre, mais il est parfois nécessaire de l’émailler — pour une crédence de cuisine par exemple — afin de la rendre imperméable. Dans ce cas, j’utilise une couverte transparente. Je peux aussi choisir d’émailler tout ou partie d’une pièce lorsque cela me semble intéressant sur le plan esthétique, notamment pour jouer sur le contraste mat / brillant. "

Chaque création a-t-elle une place particulière pour toi ?
" Je suis attachée à chacune de mes créations comme une poule à ses poussins. Chaque pièce qui s’en va est un petit déchirement… mais aussi une immense satisfaction. Il y a cette lampe, qui a marqué un véritable tournant dans ma vie. C’est la première pièce que j’ai réalisée au moment où j’ai décidé de me consacrer pleinement à la céramique. Elle symbolise pour moi le point de départ de cette grande aventure que je prends tant de plaisir à faire grandir jour après jour. Mes projets préférés sont ceux qui s’intègrent à des aménagements intérieurs : crédences, parements de cheminée, encadrements de portes ou de fenêtres… Ce sont souvent de grandes réalisations, dans lesquelles on me laisse une vraie liberté d’interprétation. Et cette liberté est grisante. "

Quelles sont tes sources d’inspiration ?
" J’ai toujours été fascinée par les ornements qui habillent les lieux édifiés par les anciens. Leur dimension symbolique et décorative va bien au-delà du simple aspect esthétique — et c’est passionnant d’apprendre à en décrypter le langage. C’est sans doute de là que me vient ce désir profond d’inscrire des créations porteuses de sens dans des projets d’architecture intérieure. Les arts décoratifs, toutes époques et toutes origines confondues, nourrissent également mon imaginaire au quotidien. Je suis aussi très sensible au travail de Karl Blossfeldt. Chargé autrefois de créer des outils pédagogiques pour enseigner les règles de l’ornementation, il a constitué un corpus photographique fascinant, qui inspire encore aujourd’hui de nombreux artistes — dont moi. La sculpture, le dessin, la photographie, la mode, l’architecture, le cinéma, la danse, le tissage… tout m’inspire, tout aiguise ma sensibilité et nourrit mon imaginaire. "
Quels sont les comptes Instagram que tu aimes ?
" Je pense notamment à objet_la_ny, ad_audreydeleglise ou sophiepinet, pour ne citer qu’eux. J’admire leur regard et leur sélection, à la fois éclectique et extrêmement pointue. Ils explorent des univers très variés, et c’est à chaque fois une surprise — un véritable émerveillement — de découvrir leurs pépites."


Quelles sont tes adresses favorites dans le Perche que tu recommandes aux lectrices et lecteurs de Mastic ?
" Je citerais volontiers le Jardin de la Petite Rochelle à Rémalard et le Jardin du Coudray à Longny. Mais surtout, je vous invite à venir me rendre visite… à Condé-sur-Huisne ! "
↳ marielevequeceramique I Instagram @marie_leveque_ceramique
crédits photos © marie levêque