Musée : LA MAISON PICASSIETTE
- mastic lifestyle

- 6 juin
- 3 min de lecture

À Chartres, la Maison Picassiette intrigue autant qu’elle émerveille. Recouverte de mosaïques faites de vaisselle brisée et de verre coloré, cette maison est l’œuvre d’un seul homme : Raymond Isidore. Sans formation artistique, il a transformé son foyer en un monde onirique, à mi-chemin entre art brut et architecture naïve.
La Maison Picassiette, une mosaïque de rêves à Chartres
Dans les faubourgs de Chartres, dissimulée derrière un jardin tranquille, se niche une maison qui défie les lois du raisonnable et du banal. Ici, l’imaginaire a pris le pas sur l’ordinaire. Bienvenue à la Maison Picassiette, l’œuvre monumentale et singulièrement touchante d’un homme sans formation artistique mais avec une obsession : réparer le monde en le recollant morceau par morceau.
Raymond Isidore naît aveugle, mais c’est à dix ans, dans la cathédrale de Chartres, qu’un miracle s’opère : il découvre la lumière filtrée par les vitraux, un spectacle de couleurs éclatantes qui bouleverse son regard sur le monde. Ce moment devient sa boussole, son horizon. Plus tard, ce seront des fragments de vaisselle brisée qui lui permettront de recréer cette lumière à la maison.
Employé municipal et cantonnier, Raymond commence à collecter sur ses chemins des éclats de verre, des morceaux de porcelaine. Ce qui pour d’autres n’est que déchet, devient sa matière première. Pendant plus de trente ans, il recouvre sa maison de mosaïques délicates et colorées, où chaque tesselle raconte une histoire — hommage à la couleur, à la lumière, au miracle des vitraux. L’intérieur se transforme : murs, sols, meubles — tout devient support pour ses créations foisonnantes, presque hypnotiques.
« Un jour je vais me réveiller et tu m’auras recouverte de mosaïques... » Adrienne Isidore

Après la Libération, Raymond Isidore étend son œuvre à l’extérieur. Les murs de la maison, la cour, les allées du jardin se couvrent à leur tour. L’étrange maison attire les curieux du quartier, les enfants viennent offrir leurs morceaux cassés, les visiteurs affluent. On se moque, on admire. On lui donne un surnom : Picassiette, contraction de « Picasso » et « assiette ».
Peu à peu, la presse s’intéresse à lui. Robert Doisneau le photographie, des articles paraissent. Mais Isidore reste humble, solitaire, fidèle à sa vision. Durant 33 ans, il travaille sans relâche, transformant chaque centimètre carré en hommage à la lumière, à la nature, à la foi. Il pose à la main 15 tonnes de débris pour bâtir une œuvre totale.
En 1962, il cesse ses travaux. Deux ans plus tard, il est retrouvé inconscient à 15 kilomètres de chez lui. Il s’éteint dans son lit, veillé par sa femme et ses deux beaux-fils. Il repose au cimetière de Saint-Chéron, avec une vue magnifique sur la cathédrale de Chartres. Sur sa tombe, une inscription : « À bientôt ».
En flânant dans les allées du jardin, difficile de ne pas penser à Gaudí, au Facteur Cheval, à l’énergie brute des bâtisseurs d’utopie. Mais ici, plus que l’art brut, c’est une humanité vibrante qui se lit dans chaque tesselle posée à la main. Un monde de céramique assemblé par amour du beau, par besoin profond de combler le vide.
Désormais propriété de la ville de Chartres, la Maison Picassiette se découvre comme on pousse la porte d’un songe. Elle surprend, bouleverse, émerveille. C’est une œuvre totale, née dans le silence, patiemment assemblée par un homme humble, devenu artiste sans l’avoir cherché — ou peut-être justement parce qu’il ne l’a jamais cherché.

La Maison Picassiette
22 Rue du Repos 28000 Chartres
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crédit photos © laure chédé


























